Namur

Gardons le contact

Naissance et présentation du dispositif

Dès le début du confinement (mars 2020), le Service de Cohésion Sociale a souhaité maintenir l’ensemble de ses missions afin que ce confinement ne soit pas un facteur de renforcement de l’isolement social. C’est dans ce contexte que le dispositif « Gardons le contact est né ». Principalement destiné aux personnes de plus de 65 ans et aux isolés, il avait pour objectifs de :

  • Viser, au moyen d’appels téléphoniques réguliers passés par du personnel de la Ville, à réduire l’isolement des personnes se sentant seules, à assurer une écoute, à créer un lien et à déceler des difficultés sociales existantes ou émergentes ;
  • Assurer un service de courses alimentaires et de pharmacie pour les personnes qui ne pouvaient compter sur leur entourage ou d’autres structures, afin de leur permettre de rester confinées ;
  • Permettre à tous les citoyens d’obtenir des informations de la Ville à leurs questions liées à la crise, via l’adresse e-mail solidarite@ville.namur.be.


Afin de faire connaitre ce nouveau dispositif aux publics cibles, la Ville de Namur a communiqué via la presse, les médias sociaux et ses partenaires. Elle a aussi adressé un courrier les invitant à s’inscrire dans le dispositif, à toutes les personnes de 65 ans et + vivant seules et à tous les ménages dont tous les membres ont 65 ans et +, ce qui représentait plus de 17.000 personnes.

Les équipes de travail

Pour être en capacité de répondre à toutes les demandes, la Ville de Namur a lancé un appel à l’ensemble des agents de la Ville. Des équipes se sont ensuite constituées, tant pour les appels téléphoniques que pour les courses, avec à leur tête une coordinatrice et un mode de fonctionnement basé sur des binômes.

Des assistantes sociales expérimentées ont été sollicitées pour gérer les situations sociales plus complexes issues des appels téléphoniques ou pour soutenir les personnes appelantes par un coaching ou une supervision (psychologues). D’autres services ont offert un précieux soutien logistique (informatique, économat, reprographie, etc.). Des outils communs de gestion (boîte mail, fiche à compléter, etc.) ont été rapidement élaborés afin que chaque demande soit traitée dans un délai raisonnable. Un canevas d’appel a été mis à disposition des appelants. Il reprenait des conseils, les différents cas de figure susceptibles de se présenter ainsi que les pistes de réponse ou de délégation possibles.

Une fiche a été complétée pour chaque personne appelée et pour chaque appel.

Fonctionnement des équipes

Sous la supervision de la coordinatrice du pôle Appels, les équipes ont fonctionné de la manière suivante :

  • Les personnes derrière la ligne d’inscription unique (081 24 74 54) avaient pour mission d’écouter les demandes, de donner des informations et d’encoder les données.
  • Les personnes appelantes avaient pour mission de téléphoner, entre 9h30 et 17h, aux personnes aînées qui figuraient sur la liste afin de leur apporter une écoute rassurante et bienveillante et d’identifier d’éventuels besoins à relayer à l’adresse mail générale.
  • Les psychologues avaient pour mission de s’assurer que les personnes appelantes aient bien compris ce qui était attendu d’elles, de se rendre disponibles si elles avaient besoin de débriefer ou de déposer leurs émotions ou questions suite à un appel difficile.

 

Rassemblés au sein de pôle Courses, les coursiers et coursières avaient pour mission de faire les courses (alimentaires ou de pharmacie et à la Poste), dans le respect des consignes et des recommandations sanitaires, des personnes demandeuses dont la situation avait préalablement fait l’objet d’un entretien avec la coordinatrice du pôle.

La question du volontariat citoyen s’est posée dès l’envoi du courrier puisque des Namurois ont spontanément proposé leur aide pour appeler les personnes. Parmi les deux principaux freins identifiés figuraient la non-possibilité, au vu du contexte de confinement, de signer un contrat de volontariat avant la prestation et les compétences et l’expertise requises dans le chef de l’appelant pour faire face aux possibles situations difficiles.

Qui s’est inscrit ou a inscrit ?

Par rapport aux appels téléphoniques :

600 contacts ont eu lieu par téléphone et 241 personnes ont été appelées régulièrement. L’équipe a passé 1566 appels à des personnes fragilisées, soit une moyenne de 46 appels par jour. Parmi les appels, 46% étaient des appels de courtoisie et 54% concernaient des situations difficiles nécessitant une prise en charge adaptée. Pour 31% des situations, nous avons dû solliciter l’intervention d’un service tiers et pour 17%, une prise en charge psycho-sociale a été nécessaire. Notons que la frontière entre un appel de courtoisie et une personne en difficulté est mince et sujette à interprétation.

La majorité a choisi d’être appelée à la fréquence d’une fois par semaine (55%) suivie par 2 à 3 fois semaine (29%). Les personnes se sont estimées heureuses de pouvoir déterminer le rythme et moment qui les arrangeait (soins en matinée, promenade habituelle, etc.). Notons enfin une grande diversité des situations et la fluctuation de l’état émotionnel, nous rappelant que chaque situation ou personne est à appréhender de manière particulière et individuelle.


Par rapport aux courses :

Ce sont, au total, 157 courses qui ont été réalisées par 17 coursiers et 27 coursières (dont 13 provenant d’autres services communaux que la Cohésion sociale) à destination de 55 bénéficiaires. Par ailleurs, en accord avec le Dispositif d’urgence sociale, les coursiers et coursières ont également fait la livraison de 25 colis alimentaires en plus de certains autres achats pour des personnes qui ne disposaient pas de moyens financiers. Concernant le profil des bénéficiaires des courses :

  • Globalement, 3/4 des bénéficiaires étaient des personnes âgées isolées ou en couple isolé de plus de 65 ans (plus de femmes que d’hommes, en majorité d’origine belge et toutes issues de Namur centre ou de la périphérie). L’autre quart, les moins de 65 ans, était constituée à part presque égale d’hommes et de femmes. La personne la plus jeune était âgée de 33 ans et la plus âgée de 63 ans.
  • Certaines personnes (mais pas la majorité) étaient issues des quartiers à haute densité de population et locataires de logement sociaux.
  • Les bénéficiaires étaient domiciliés à Jambes, Saint-Servais, Salzinnes, Namur centre, Vedrin, Wépion et quelques personnes provenaient de Belgrade et Malonne.

 

Par rapport à la boîte mail Solidarité :

699 mails ont été reçus et plus de 1 800 mails, échangés. Les demandes les plus fréquentes étaient relatives aux masques, aux demandes de courses et aux propositions de bénévolat.


Autres constats :

Le bouche à oreille a particulièrement bien fonctionné dans les quartiers à haute densité : « Vous avez appelé ma voisine et je voudrais que vous m’appeliez aussi ».

L’entourage et les familles ont aussi inscrit des personnes du voisinage ou des proches. Des personnes ont parfois été inscrites par des pharmaciens et des commerçants de proximité.

Les points forts du projet : les forces, les obstacles et les succès

« Gardons le contact » a reçu énormément de retours positifs tant du public que des agents communaux. Ce dispositif est, certes, à améliorer mais constitue un socle intéressant pour permettre une réflexion future sur des projets de ce type, notamment en contexte de crise.

Au niveau des forces du projet, nous pouvons relever les aspects suivants :

  • Un staff de coordination exclusivement composé de profils orientés et expérimentés « projets » et dotés d’un grand sens de l’adaptation et de l’anticipation ;
  • La majorité des personnes nous ont fait d’emblée confiance et nous ont transmis leurs informations personnelles (carte de banque, infos privées, …)
  • La communication a été adaptée et ciblée.


Des obstacles ont également été rencontrés :

  • Le processus s’est déroulé dans un contexte de confinement et donc de télétravail. Or, le service manquait cruellement de méthodes et d’outils adaptés. La communication a joué un rôle important, passant par des pratiques connues (préférer les appels aux mails, fonctionnement par personne de référence, fiches ressources, etc.) ou plus novatrices comme les outils en ligne ;
  • Le constat d’un « fossé » entre le nombre de bénéficiaires et le nombre de personnes contactées a été établi. Cela ne représente qu’1,3 % des 17 015 destinataires du courrier. Néanmoins, ce sont des personnes qui n’auraient probablement pas été repérées par d’autres moyens.
  • Le travail était prenant et fatigant émotionnellement surtout pour les personnes appelantes mais aussi pour celles réalisant les courses ;
  • L’accompagnement a été particulièrement complexe avec les personnes souffrant d’Alzheimer ou souffrant d’autres démences.
  • La communication sur le dispositif s’est limitée au démarrage du service des appels. Il n’y a pas eu de relance, ni aucune communication sur le volet courses ;
  • Il y a eu des départs d’agents sur d’autres missions prioritaires ;
  • La fin du dispositif a été perçue comme brutale tant par les bénéficiaires que par les intervenantes et intervenants, malgré les précautions prises.


Les succès de l’opération :

  • « La Ville a fait le premier pas » ; cela coïncide avec ce que le service de Cohésion sociale souhaite davantage développer à savoir, la proximité et la prise d’initiative pour aller à la rencontre des gens ;
  • Très rapidement, un fil rouge s’est déroulé au travers nos interventions et au sein du staff de coordination : confiance, bienveillance et communication en étaient les maître-mots ;
  • La mise sur pied d’un projet solidaire et fédérateur en deux semaines avec 54 personnes qui ne se connaissaient pas pour la plupart et avec des profils très variés ;
  • L’atteinte de nos objectifs de départ et la conviction confirmée que « Gardons le contact » était essentiel dans le contexte de confinement.
  • Les retours positifs multiples de bénéficiaires mais aussi des personnes qui n’avaient pas besoin de l’intervention de la Ville. Le contenu du travail permettait de mesurer directement l’impact dans les échanges avec les personnes (beaucoup de remerciements, personnes affectées émotionnellement, etc,…).


Le dispositif a acquis une certaine identité au sein de la population.

Au-delà de ces aspects et plus particulièrement pour la Ville, la mise en route et le développement du projet ont impliqué, de facto, une transversalité tant entre les cellules du service de Cohésion sociale qu’en interne de l’Administration (via l’apport d’autres services communaux) et même interinstitutionnel, notons la collaboration renforcée entre Ville et CPAS. C’est réellement une expérience positive de soutien et de solidarité en faveur de l’intérêt collectif qui a été vécue.

Cette période fut une occasion inédite de parler avec des seniors et personnes souffrant de solitude, isolés, en prenant le temps de (très) longues conversations. Il en est ressorti une richesse insoupçonnée en termes de partage de vécu, d’histoires personnelles, d’émotions… Certaines personnes ont affirmé avoir pu enfin dire des choses qu’on ne raconte pas aux proches pour ne pas les inquiéter ou parce que ce sont justement des proches. Tous ces échanges n’auraient pas eu lieu sans la pandémie.

Lorsqu’il y avait peu de solutions (services d’aides à l’arrêt, plus de nettoyage…), les échanges se sont déroulés autour de la dédramatisation de la situation. Parler des problèmes a permis de rassurer, de prendre patience, de prendre du recul et finalement d’apaiser les tensions.

Les infirmièr.e.s à domicile n’ont jamais arrêté de travailler et ils ont constitué un maillon important du processus « Gardons le contact ».

Des pharmaciens ont appelé les médecins de leur propre chef pour obtenir des prescriptions et ont livré les médicaments à domicile quand c’était la seule solution possible. Des boulangers ont également livré à domicile.

Quand les services et notamment l’ALE ont repris, ils l’ont fait avec beaucoup de souplesse et de flexibilité en fonction de demandes parfois très particulières des bénéficiaires liées à la situation Covid (animaux à nourrir durant une hospitalisation non programmée…).

Les équipes d’agents communaux volontaires ont découvert le domaine de la cohésion sociale et toute une réalité de terrain et de vie inconnue jusque-là pour eux. Ils ont apprécié les relations interpersonnelles qui se sont tissées au fil des appels coups de téléphone.

La fin de l’opération :

Le relais vers d’autres opérateurs et l’activation d’autres alternatives (locales ou extra locales) a fait l’objet d’une attention particulière dans cette phase de fin du dispositif en vue de ne pas stopper net l’accompagnement ainsi prodigué et d’apporter des pistes de solutions à court, moyen ou, parfois, long terme.

C’est ainsi que par rapport aux situations les plus délicates et complexes, nous avons favorisé une reprise du dossier par des collègues du service de Cohésion sociale ou nous avons orienté vers le CPAS (repas à domicile, service accompagnement…) ou encore vers d’autres structures et services (service de santé mentale pour aînés, aides à domicile, ALE…) mais également vers des plateformes proposant des services quelque peu semblables aux nôtres, comme les initiatives citoyennes Covid Solidarity ou Helpify.

Un courrier a été envoyé à chaque bénéficiaire avec le Guide namurois du maintien à domicile édité par le CPAS ou, au minimum, des références pour consulter ce dernier. La boite mail solidarite@ville.namur.be a été transférée vers la messagerie générale de la Cohésion sociale. La ligne téléphonique d’inscription (081 24 72 54) a, quant à elle, été maintenue mais sous une autre modalité de fonctionnement.

Autres enseignements :

Ce qui ressort néanmoins déjà des contacts avec les appelés est leur souhait marqué d’être appelés encore après la crise. En effet, si les seniors plus jeunes (60-70 ans) sont partants pour des activités et des rencontres plus collectives, les plus âgés sont demandeurs de parler de chez eux dans le cadre d’une relation privilégiée et de confiance avec un interlocuteur disponible, voire même de visites à domicile dans le même cadre. Ils demandent également que ce genre de contacts se généralise lorsque les citoyens se trouvent confrontés à des situations difficiles, comme la perte d’un proche par exemple.

Remarques importantes :

« Gardons le contact » n’était pas destiné à se substituer à ce qui existait déjà. Il a apporté un renfort, voire une relève, là où cela s’avérait nécessaire. Ainsi, il est important de noter que d’autres lignes téléphoniques peuvent être activées par les citoyens et citoyennes selon leur situation (Catupan, Senoah, InfoCovid, Télé-accueil, ligne de prévention du suicide, etc.). Au niveau de l’alimentation, il existait aussi des possibilités d’aide variées (comme la livraison de repas du CPAS ou la commande de courses via les ALE ou Servinam, services néanmoins payants).

Lors de l’évaluation finale, 87 % des personnes ont exprimé que le dispositif leur serait utile en dehors de la pandémie.